jeudi 5 janvier 2012

Le concept de modèle


QU’EST-CE QU’UN MODÈLE ?

Le “modèle” n’a pas le sens d’une pureté formelle & abstraite (cf. Intelligible platonicien) mais celui d’une construction établie en relation à des observations, d’une part, et en relation à une théorie formelle, d’autre part. Il permet non seulement de décrire des événements mais d’en donner une interprétation physique.

hors système système formel
(réel ou concret) énoncés 2nd théorèmes dérivables
modèle règle syntaxe { démonstration (déduction)
énoncés 1ers axiomes non dérivables

Alain Badiou (Le concept de modèle) présente 2 usages et 2 définitions du mot « modèle ».
> 1 Le modèle est une unité qui décrit l’activité de la science et il s’agit alors d’un discours sur la science : énoncé idéologique (opinion)
> 2. Il est un concept scientifique qui vaut en logique mathématique : énoncé de la science elle-même.
Il est clair que lorsqu’on l’utilise en dehors de la science, ou bien sur la science elle-même pour la décrire de l’extérieur, on ne peut plus être dans la science mais seulement dans l’idéologie = l’opinion.
« Quand la 2° définition sert de support à la première, on a un recouvrement de la science. » On croit être dans la science, mais on est soit dans la catégorie philosophique de modèle, soit dans l’idéologie ou l’opinion.
L’usage épistémologique ou idéologique du concept de modèle a ainsi comme résultat :
• d’effacer la réalité de la science entendue comme écriture de la production de la connaissance ;
• de brouiller la distinction entre l’écriture proprement dite (construction mathématique du donné) et la production technologique de ce donné. Autrement dit, on brouille la ≠ entre la représentation symbolique et la mise en œuvre des modèles que l’on décrit dans le réel (qu’il soit naturel ou pas), cad hors du système formel.
Plus précisément, il présente sa thèse en opposant science & idéologie. « Les sciences forment un en­semble discret de différences articulées, et les idéologies une combinaison continue de variations. »
La métaphore musicale permet de ressortir l’enjeu. Musicalement, la répétition du thème reste inaperçue, aveugle, non réfléchie. C’est pourquoi ces discours idéologiques ne sont que des variations sur un thème qui n’est pas donné, qui ne figure pas parmi les variations, en sorte que chaque variation ne peut être en soi rien d’original mais seulement une image qui se prend pour son modèle

LE CONCEPT SCIENTIFIQUE DE MODÈLE

Le mot modèle figure dans la science où il représente l’élé­ment conceptuel d’une cohérence syntaxique. Dans la logique mathématique (la théorie des modèles) on a plusieurs théorèmes :

1. Une théorie est cohérente si et seulement si elle a un modèle Théorème de Gödel-Henkin.

2. Une théorie formelle qui admet un modèle infini admet nécessaire­ment un modèle dénombrable Théorème de Löwenheim-Skolem.


Le mot « modèle » dans ces énoncés mathématiques a-t-il le même sens que dans l’acception usuelle ou des sciences humaines ?

On peut noter qu’il s’agit chaque fois d’un modèle et non pas du modèle. Le concept de modèle permet ici de penser le rapport entre un système formel et son dehors. Le dehors d’un système formel peut parfaitement être un autre système qui va alors lui servir de mise à l’épreuve (par ex. l’arithmétique qui a été axiomatisée par Peano). Le problème est de pouvoir décider du rapport entre science formelle et science empirique, mais il permet aussi de mieux établir la différence entre le concept philosophique et le concept scientifique.

dehors concret système formel

énoncés 2nd théorèmes (dérivables)
STRUCTURE règle syntaxe{démonstration (déduction)
énoncés 1er axiomes (non dérivables)

À quelle condition une structure découverte/observée est-elle un modèle pour le système formel ?

Il faut distinguer entre deux domaines :
1° Le système formel est une écriture dont les règles sont explicites. À partir d’un ensemble d’axiomes (énoncés 1ers) on dérive des théorèmes (énoncés seconds) selon des règles de déduction (syntaxe).
Il convient de noter plusieurs contraintes logiques :
• Si tous les énoncés étaient des théorèmes, il n’y aurait pas d’axiome et les règles de déduction ne seraient rien. Sans règles de déduction, les théorèmes ne seraient même pas des théorèmes mais seulement des énoncés désordonnés, volants, sans fondement, comme ceux de l’opinion (= variations musicales).
• On demande alors qu’il existe au moins un énoncé qui ne soit pas dérivable à partir des axiomes. C’est la propriété de consistance du système. Cette contrainte exprime une norme syntaxique : la nécessité d’une dérivation à partir d’un énoncé 1er qui n’est pas lui-même dérivable (= « l’axiome »).
• Or, la recherche de tels énoncés n’est pas tout-à-fait scientifique mais philosophique, car elle ne saurait disposer déjà d’une syntaxe. La logique ne fonde pas la logique (régression à l’infini) et il est nécessaire alors de partir d’une situation dialectique (culturelle). Il y a des valeurs, des préférences, des intuitions, des hypothèses, etc. qui sont jugées meilleures (cf. Kuhn). Elle doit rechercher le dérivable et c’est ainsi qu’elle rentre en contradiction puisqu’elle doit disposer déjà du non-dérivable. Cette recherche ne peut pas se faire ex datis (données empiriques) mais seulement ex principiis. Ce moment philosophique est ensuite ramené à la pure position d’un axiome d’où l’on part ex datis. Une fois le système installé, une fois que l’on a trié les deux types d’énoncés (1ers et 2ds) et constitué le groupe de base, la recherche de modèles devient possible : la science peut alors devenir expérimentale.
Une structure est modèle pour un système formel si tous les axiomes de ce système (et non pas les théorèmes) sont valides pour la structure.

2° Le domaine d’interprétation
est un modèle pour le système formel. À tout énoncé vrai du modèle correspondra une formule dérivable du système (un théorème). Dans ce cas le système est dit complet pour ce modèle. Il ne manquera aucun élément qui, du dehors, ne trouvera son image dans le système formel.

Il est donc clair que l’usage du concept scientifique de modèle est l’inverse de celui que l’on pratique ailleurs, et qui remonte à la définition de Platon. Il appelle en effet paradeigma les idées qui représentent, au fond, la réalité du réel [en Grec, c’est le modèle au sens de plan d’architecte, modèle de peintre, et par extension l’exemple à imiter. Paradeiknumi, c’est montrer à côté, mettre en regard, en parallèle, d’où l’idée de comparer, et aussi d’attribuer.]
Dans les sciences humaines, c’est le formel qui est le modèle relativement à un donné empirique. En science c’est le donné qui est modèle de l’artifice syntaxique. Il n’y a jamais confusion entre les structures observées dans « le dehors concret », tous les modèles possibles, et le système formel. Pas plus qu’il n’y en a entre les axiomes et les théorèmes pour le système formel.
C’est la recherche d’une identité de syntaxe qui caractérise la modélisation et non pas seulement une formalisation. La condition d’un tel tri dans les énoncés, selon une règle formulée, est la condition de clôture du système : sa forme achevée. Le système formel ne s’évanouit donc pas dans l’abstrait quand il s’agit d’un modèle réellement observé.

Quelle est donc la portée exacte du concept scientifique de modèle pour pouvoir être exporté ailleurs ?
« La démonstration mathématique s’éprouve dans l’explicite réglé des marques. L’écriture représente en mathématique le moment de la vérification », résume Alain Badiou.
La structure représentée (et non pas observée empiriquement) doit être écrite pour devenir un système formel. Le moment de la syntaxe (le lien démonstratif et déductif) est une écriture qui met le regard en place en répartissant les énoncés premiers et seconds. Il ne s’agit pas d’une syntaxe qui passe entre le système formel et son dehors, entre ce qui serait le discours (les mots) et ce qui serait le réel (les choses).

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